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  • La randonnée de Pont de l’Arche du 18 février 2020 nous a conduit, quand nous avons pénétré dans la forêt de Bord-Louviers sur le chemin forestier de la Route Impériale. Au 19 ème siècle c'était la principale route menant de Louviers à Pont de l’Arche. Victor Hugo, en 1837, y a croisé une famille de musiciens et dans une lettre adressée à son épouse il nous livre ce témoignage.

    Au cours d’une petite halte, Marie-Sophie nous a conté avec son talent unique cette histoire :

     

    Le 12 septembre 1837
    Hier, entre Louviers et Pont-de-l’Arche, vers midi, j’ai rencontré sur la route une famille de pauvres musiciens ambulants qui marchait au grand soleil. Il y avait le père, la mère et six enfants, tous en haillons. Il suivaient le plus possible la lisière d’ombre que font les arbres. Chacun avait son fardeau. Le père, homme d’une cinquantaine d’années, portait un cor en bandoulière et une grande contrebasse sous son bras ; la mère avait un gros paquet de bagages ; le fils aîné, d’environ quinze à seize ans, était tout caparaçonné de hautbois, de trompettes et d’ophicléides   ; deux autres garçons plus jeunes, de douze à treize ans, s’étaient fait une charge d’instruments de musique et d’instruments de cuisines où les casseroles résonnaient à l’unisson des cymbales : puis venait une fille de huit ans, avec un porte-manteau aussi long qu’elle sur le dos ; puis un petit garçon de six ans affublé d’un havresac de soldat ; puis enfin une toute petite fille de quatre à cinq ans, en guenilles comme les autres, marchand aussi sur cette longue route en suivant bravement avec son petit pas le grand pas du père. Celle là ne portait rien. Je me trompe. Sur l’affreux chapeau déformé qui couvrait son joli visage rose, elle portait – c’est là ce qui m’a le plus ému – un petit panache composé de liserons, de coquelicots et de marguerites, qui dansait joyeusement sur sa tête. J’ai longtemps suivi du regard ce chapeau hideux surmonté de ce panache éclatant, charmante fleur de gaîté qui avait trouvé moyen de s’épanouir sur cette misère. De toutes les choses nécessaires à cette pauvre famille, la plus nécessaire, c’est à la petite bégayant à peine que la Providence l’avait confiée. Les autres portaient le pain, l’enfance portait la joie. Dieu est grand.

    Marie-Sophie nous a ensuite conseillé de lire un deuxième texte extrait des « Contemplations » écrit une vingtaine d'années plus tard et dans lequel le regard du poète sur la misère a beaucoup évolué.

     

    Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? 
    Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
    Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
    Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
    Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
    Dans la même prison le même mouvement.
    Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
    Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
    Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
    Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
    Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
    Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
    Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
    Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
    Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
    Notre Père, voyez ce que nous font les hommes ! »
    Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
    Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
    Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
    La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
    Et qui ferait — c'est là son fruit le plus certain —
    D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
    Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
    Qui produit la richesse en créant la misère,
    Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
    Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? Que veut-il ? »
    Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
    Une âme à la machine et la retire à l'homme !
    Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
    Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
    Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
    Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
    Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,
    Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux ! 
     

    Victor Hugo sur la route impériale

     
     

     

     

     

     

     


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  • Alors que nous cheminions en forêt de Bord, guidés par Françoise, notre attention fut attirée par deux arbres curieusement enlacés et ne faisant qu’un, comme deux êtres liés entre eux pour l’éternité. Je proposai à Marie-Sophie de nous composer un poème avec son talent si unique . Elle nous conta aussitôt la belle histoire de Philémon et Baucis. J’appelai Julien, notre reporter-photographe, pour qu’il immortalise sur la pellicule nos deux arbres soudés l’un à l’autre. Malheureusement son outil photographique était resté dans sa maison. Il me restait donc à refaire le chemin à l'envers, dès le lendemain, pour réaliser le fameux cliché.

     

    Avant de voir nos deux arbres en photo, je vous propose de découvrir le récit si captivant de Marie- Sophie :

    «  Dans une région montagneuse de la Phrygie, il y avait jadis deux arbres que les paysans se montraient du doigt, de près ou de loin, et pour cause, car l'un était un chêne, l'autre un tilleul mais ils n'avaient qu'un seul et même tronc.

    L'histoire raconte comment ceci arriva et fournit la preuve de l'immense pouvoir des dieux et de la façon dont ils récompensent les humbles et les pieux.

    Parfois, Zeus descendait sur la terre pour y courir l'aventure, déguisé en simple mortel. Pour ces randonnées, son compagnon favori était Hermès, le plus amusant de tous les dieux, le plus sagace et le plus fertile en ressources.

    Un jour Zeus voulut savoir jusqu'à quel point le peuple phrygien pratiquait l'hospitalité. Le père des dieux et des hommes s'intéressait très particulièrement à cette vertu puisque tous les hôtes, tous ceux qui cherchent refuge dans un pays étranger se trouvaient sous sa protection personnelle.
    Les deux dieux prirent donc l'apparence de pauvres vagabonds coureurs de routes et se promenèrent au hasard à travers le pays, frappant à chaque chaumière basse, à chaque grande maison où ils venaient à passer, demandant partout de quoi se restaurer et un coin pour se reposer.
    Personne ne voulut les recevoir ; toujours, on les congédiait avec insolence et la porte se refermait avec bruit. Cent fois et même davantage, ils répétèrent leur essai ; partout ils furent traités de la même façon.

    Ils arrivèrent enfin devant une cabane à l'aspect le plus humble ; c'était la plus pauvre de toutes celles qu'ils avaient vues jusqu'ici et couverte d'un simple toit de roseaux.

    Mais là, quand ils frappèrent, la porte s'ouvrit toute grande et une voix aimable les pria d'entrer. Ils durent se courber pour passer le seuil tant la porte était basse, mais quand ils eurent pénétré à l'intérieur, ils se trouvèrent dans une pièce chaude et accueillante et surtout très propre, où un vieil homme et une vieille femme aux doux visages leur souhaitèrent la bienvenue de la façon la plus amicale et s'affairèrent à les mettre à l'aise.

    Le vieil homme poussa un banc devant l'âtre et les pria de s'y étendre pour reposer leurs membres fatigués et la vieille femme y jeta une couverture. Elle se nommait Baucis, dit-elle aux étrangers, son mari s'appelait Philémon.
    Ils vivaient depuis leur mariage dans cette chaumière et ils y avaient toujours été heureux. «Nous sommes de pauvres gens, mais la pauvreté n'est pas un si grand malheur quand on est prêt à l'accepter, et un esprit accommodant peut être lui aussi d'un grand secours », conclut-elle. Tout en parlant, elle vaquait à de menues tâches et se préoccupait de leur bien-être.

    Elle souffla sur les braises du foyer jusqu'à ce qu'un bon feu y reprit vie ; au-dessus des flammes, elle suspendit une petite marmite pleine d'eau ; comme celle-ci commençait à bouillir, le mari rentra, portant un beau chou qu'il était allé cueillir dans le jardin. Le chou alla dans la marmite, avec une grande tranche du lard qui pendait à une poutre. De ses vieilles mains tremblantes, Baucis prépara la table qui était bien un peu boiteuse, mais elle y remédia en glissant un éclat de poterie cassée sous un pied. Sur la table elle déposa des olives, des radis et quelques œufs cuits sous la cendre. Le chou et le lard étaient maintenant à point ; le vieil homme approcha deux couches délabrées de la table et pria ses hôtes d'y prendre place et de faire honneur au repas.

    Un instant plus tard il posait devant eux des coupes en bois de hêtre, et une jarre en terre cuite contenant un vin qui avait un goût prononcé de vinaigre et largement coupé d'eau. Mais Philémon semblait heureux et fier de pouvoir joindre cet appoint à leur souper et il prenait grand soin de remplir chaque coupe à peine vidée. Les deux vieillards étaient si contents et tellement surexcités par le succès de leur hospitalité, qu'il leur fallut tout un temps pour s'apercevoir d'un étrange phénomène. La jarre restait toujours pleine ; quel que fût le nombre de coupes versées le niveau du vin ne baissait pas. Quand enfin ils se rendirent compte du prodige, ils échangèrent un regard terrifié et ensuite, baissant les yeux, ils prièrent en silence. Puis, tout tremblants et d'une voix mal assurée, ils implorèrent leurs hôtes de leur pardonner la pauvreté des mets offerts.

    « Nous avons une oie », dit le vieil homme. « Nous aurions dû la donner à vos Seigneuries. Mais si vous consentez à patienter un peu, nous allons la préparer pour vous.» Mais la capture de l'oie s'avéra une entreprise qui dépassait leurs maigres forces. Ils s'y essayèrent en vain et s'y épuisèrent, tandis que Zeus et Hermès, grandement divertis, observaient leurs efforts.

    Et quand Philémon et Baucis, haletants et exténués, durent enfin abandonner leur chasse, les dieux sentirent que le moment d'agir était venu pour eux. Ils se montrèrent, en vérité, très bienveillants. « Ce sont des dieux que vous avez hébergés et vous en serez récompensés », dirent-ils. « Quant à ce pays inhospitalier qui méprise le pauvre étranger, il sera châtié, mais pas vous. » Ils prièrent les deux vieillards de sortir avec eux de la chaumière et de regarder autour d'eux.

    Stupéfaits, Philémon et Baucis ne virent plus que de l'eau partout la région tout entière était submergée, un grand lac les entourait. Les voisins ne s'étaient jamais montrés bien aimables pour le vieux couple, qui néanmoins pleura sur eux. Mais une autre merveille sécha les larmes des bons vieillards. La cabane qui depuis si longtemps était leur demeure se transformait sous leurs yeux en un temple majestueux, au toit d'or soutenu par des colonnes du plus beau marbre.

    « Bonnes gens », dit Zeus, « exprimez un vœu et nous vous l'accorderons aussitôt. » Les deux vieillards chuchotèrent un instant, puis Philémon parla: «Qu'il nous soit permis d'être vos ministres et les gardiens de ce temple. Oh, et puisque nous avons si longtemps vécu ensemble ne laissez aucun de nous demeurer seul, un jour ; accordez-nous de mourir ensemble.» Emus, les deux dieux acquiescèrent. Longtemps le vieux couple servit dans le grand édifice, et l'histoire ne dit pas s'il leur arriva parfois de regretter leur chaumière douillette et les flammes joyeuses de son âtre. Mais un jour qu'ils se tenaient l'un près de l'autre devant la magnificence dorée du temple, ils se mirent à parler de leur vie ancienne, si dure et cependant si heureuse.

    Ils étaient maintenant parvenus à un âge très avancé, et soudain, comme ils échangeaient leurs souvenirs, chacun s'aperçut que l'autre se couvrait de feuilles. Puis une écorce les entoura. Ils n'eurent que le temps de s'écrier tendrement : « Adieu, cher compagnon» ; les mots avaient à peine passé leurs lèvres qu'ils étaient transformés en arbres. Mais ils étaient toujours ensemble ; le chêne et le tilleul n'avaient qu'un seul tronc.

    De partout on venait admirer le prodige et des guirlandes de fleurs garnissaient toujours les branches pour honorer ce couple pieux et fidèle.  »

     

    Voilà l' histoire de Philémon et Baucis avec sa belle morale que nous a conté Marie-Sophie et il fallait bien en faire profiter tous les randonneurs de la rando bleue.

    Bien sur nos deux arbres de la forêt de Bord sont un chêne et un hêtre, mais c’est assurément Ovide, l’auteur de cette légende qui a confondu un tilleul avec un hêtre.

     

    Patrick

    Philomène et Baucis retrouvés en forêt de Bord

     


    2 commentaires
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    Poème de Marie-Sophie de la côte St Auct

     

     

     

    A nos vaillants « Guides bleus »

     

    Dans les champs, les vaches font : « Meuh ! »

     

     

     

    Le soleil brille, radieux

     

    Nous, bavardant à qui mieux mieux,

     

    Suivant nos guides valeureux,

     

    Nous cheminons d’un pas joyeux.

     

    Et quand, après un bref adieu,

     

    Nous rentrons, fourbus mais joyeux,

     

    C’est pour aller nous mettre au pieu !

     

    Merci, merci, ô Guides bleus !

     

     

     
     

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